Extrait du livre : Ce que signifie “être staff dans une école Sudbury" Chapitre 2 : L’arme secrète de Sudbury Valley : Permettre à des personnes d’âge différent de se mélanger à l’école
Hanna Greenberg [réimprimé de L’Expérience de la Sudbury Valley School, presse de la Sudbury Valley School, 1992]
Pendant longtemps, j’ai eu la forte conviction que le mélange des âges, qui est une des caractéristiques les plus évidentes de la Sudbury Valley, fait partie des plus importantes composantes de l’école, en plus d’être nécessaire au vu de ses principes démocratiques. Mais à chaque fois que j’ai essayé de l’expliquer, je n’arrivais pas vraiment à mettre les mots sur la raison pour laquelle je trouvais que cela jouait un rôle aussi central dans la façon dont les enfants apprennent et se développent. Cependant, j’ai vécu une expérience qui a fait tomber le concept entier sous le sens pour moi. Non pas que l’expérience en elle-même ait été spécialement unique, mais, comme je le raconterai bientôt, elle avait certaines caractéristiques qui ont enfin assemblé abruptement toutes les pièces du puzzle. Peut-être vaudrait-il mieux que je commence par raconter cette expérience, puis que je retrace ma pensée du début. Ce qu’il s’est passé est que j’étais simplement présent alors qu’un groupe de jeu était organisé par des enfants d’environ 3 ans. Une bande d’enfants de 3 ans était en train de jouer à l’intérieur et à l’extérieur de la maison d’un des parents et mon propre fils de 3 ans en faisait partie. Ce que je voyais était beaucoup d’activité, mais presque que de l’activité individuelle. Les enfants jouait apparemment ensemble, mais lorsque vous regardiez de près, vous pouviez voir que ce qu’il se passait était qu’ils appréciaient bien sûr le fait d’être ensemble, et qu’ils étaient intéressés par le fait d’être proches les uns des autres, mais ils jouaient ensemble séparément. Chacun d’entre eux conduisait son propre tricycle ou voiture à pédale et faisait beaucoup de bruit en regardant vers les autres, mais il n’y avait pas d’activité conjointe, rien qui impliquait de la collaboration. De plus, il y avait beaucoup de bruit. Il y avait aussi une autre caractéristique qui se fait sentir partout dans les crèches, bien que je dois dire que peu d’observateurs en font mention. Beaucoup de cette activité était clairement répétitive, routinière. L’un d’entre eux conduisait d’avant en arrière, d’avant en arrière, avec un grand sourire. L’autre chantait pendant un temps excessivement long, toujours la même chose. De façon intéressante, les activités les plus répétitives étaient celles que les enfants faisaient lorsqu’ils étaient ensemble. Alors qu’un enfant qui serait resté complètement seul dans une autre partie de la maison aurait fait des choses originales et variées. Toutes ces sortes d’activités sont très répandues dans de tels groupes, mais pour quelque raison, les événements de ce jour particulier déclenchèrent un cheminement de pensée dans mon esprit qui me fit comprendre beaucoup de choses. Alors permettez-moi de procéder à une observation plus générale. Si vous regardez la société dans son ensemble, ou un des ses morceaux, vous ne manquerez pas de remarquer que la ségrégation selon les âges ou selon les compétences ou selon les capacités n’est pas un phénomène prévalent. Les adultes font peu attention à ces facteurs lorsqu’ils interagissent avec d’autres adultes. Que vous regardiez une entreprise, un commerce, une université, ou quoi que ce soit d’autre, la population adulte est des plus diverse : il s’y trouvent des gens sur le point de prendre leur retraite, d’autre ayant la quarantaine, d’autre ayant la vingtaine qui démarrent à peine, et ils participent tous ensemble dans l’entreprise. Je ne connais aucune entreprise qui a le genre de ségrégation qu’on trouve communément dans les écoles. En effet, si vous réfléchissez à la façon dont ce sujet s’applique à la société dans son ensemble, cela commence à vous donner une idée de ce qui se passe dans les institutions scolaires. Dans les institutions de la vie quotidienne, peuplées d’adultes, il est généralement accepté que c’est une bonne chose qu’il y ait beaucoup de contact et de communication entre les gens qui ont divers degrés d’expérience dans la vie et divers degrés de compétences dans leur travail, c’est une bonne chose pour l’entreprise. C’est quelque chose de bénéfique. Si les gens pensaient qu’il valait mieux que ce genre de mélange n’ait pas lieu, ils feraient en sorte que cela n’arrive pas. En fait, je suspecte que la plupart des gens acceptent cela car c’est ce à quoi ils sont habitués, et que très peu de gens qui gèrent toutes sortes d’entreprises ont vraiment réfléchi à pourquoi ils laissent les gens se mélanger librement. C’est ainsi que cela a toujours été, c’est comme ça. Mais que les gens sachent ou non si cela est bon, c’est une caractéristique commune de notre société qui a réussi. Et c’est en fait ce que je veux avoir en arrière-plan pour m’y référer ultérieurement. Nous arrivons au point central : que se passe-t-il quand un enfant grandit et apprend à faire face au monde ? Je pense qu’il est admis de façon générale que la nature du processus de maturation est le développement par l’enfant de la capacité de former une représentation du monde, de prendre en main le monde, de résoudre des problèmes, de trouver d’une façon ou d’une autre une place dans le monde, d'acquérir un sentiment d’identité suffisant pour être en mesure d’interagir avec le monde. Il y a de nombreuses façons de dire cela. Fondamentalement, grandir signifie acquérir la capacité de faire face à l’environnement, plutôt que d’acquérir un ensemble de compétences statiques avec lesquelles vous allez vivre pendant le restant de votre vie. Les penseurs modernes ont tendance à voir la vie comme une interaction en cours entre un organisme et le monde qui l'entoure. La vie n'est pas quelque chose qui prend une forme définitive quand vous devenez un adulte pour ensuite simplement se dérouler. Il s’agit d’une vision plus typique du passé. Aujourd’hui, la vie est bien plus considérée comme un processus. Atteindre la maturation signifie que vous avez enfin acquis la capacité, plus ou moins, de faire face, jour après jour, année après année, de façon créative, imaginative, et réussie au monde en constante évolution qui vous entoure. La différence entre une personne mature et immature réside en ceci qu’il manque encore à la personne immature cette compétence. Elle a toujours du mal à prendre les choses en main. La personne mature, en théorie, a développé la compétence de trouver des moyens d’interagir avec le monde environnant, en résolvant les problèmes qu’il présente et en créant des structures dans lesquelles la personne peut fonctionner. Comme l’âge adulte est un processus en interaction avec le monde, l’apprentissage et le développement peuvent être vu comme l’acquisition des compétences nécessaires pour être un adulte. L’important est donc de devenir une personne capable de résoudre des problèmes efficacement, et de construire de bons modèles de la réalité. Un adulte accompli est une personne qui sait faire ces choses, qui peut prendre un problème, y penser, l’analyser, et d’une façon ou d’une autre, trouver une solution qui sera valide dans le modèle de réalité de cette personne. Afin de s’en sortir tout au long de la vie, il faut être capable de construire des modèles qui ont du sens vis-à-vis de la réalité. Étant donnée cette vision de ce qu’est le processus de la vie, la question de l'éducation - ou de l’enfance en général - est : comment un enfant développe-t-il la capacité de faire ces choses, et quel est le meilleur environnement éducatif dans lequel développer ces compétences ? Comment apprend-on à bien résoudre les problèmes ? Comment apprend-on à construire de bons modèles de la réalité ? Une façon de faire est d’étudier les réponses d’autres gens qui se trouvent dans des situations similaires aux vôtres. Une personne n’apprend pas seulement en inventant tout depuis zéro mais en regardant autour de lui et en réfléchissant à la façon dont les autres gens interagissent avec le monde. C’est là qu’intervient le mélange des âges. Il est clair qu’une personne qui grandit absolument seule dans un environnement totalement isolé va avoir une façon de fonctionner complètement différente, une fois adulte, d’une personne qui a grandi dans un environnement social. En effet, une des fonctions des interactions sociales dans une société est de fournir des modèles de vie alternatif que les gens dans la société étudient constamment. Lorsque vous êtes un adulte, vous savez cela. Vous regardez constamment autour de vous vos collègues, vos pairs, vos voisins, etc. Je ne parle pas de suiveurs ni de gens qui obéissent aveuglément à l’autorité. Même - et peut-être particulièrement - les adultes les plus originaux et hautement créatifs regardent constamment autour d’eux comment font les autres et se demandent comment ils approchent les choses ou ce qu’ils voient dans le fie, et ils s’efforcent constamment d’apprendre de ces modèles alternatifs et de les intégrer dans leur propre représentation du monde afin de les utiliser d’une façon ou d’une autre pour leur propre intérêt. Ce qui est vrai à propos des adultes est doublement vrai à propos des enfants. Un enfant qui n’a pas encore les compétences pour faire face au monde seul s’intéresse à des modèles alternatifs qui l’entourent non seulement pour voir ce qu’ils sont mais pour apprendre la façon dont on construit ces modèles. C’est un concept de second ordre assez compliqué. Voyons si je peux le rendre plus clair avec quelques exemples. Imaginons que j’étudie la physique. En tant que physicien, je serais intéressé par ce que les autres physiciens font afin de comprendre quel genre de théories ils utilisent, quel genre de formules ils appliquent dans des situations données, quelles sortes d’expériences ils conçoivent et ainsi de suite. Mais un enfant qui s’intéresse à un problème de physique regarde ce que font les autres non pas dans le but de voir quelles théories et formules ils vont appliquer dans telle situation, mais pour apprendre quels cheminements de pensée sont utilisés en physique. Quelle manière de résoudre les problèmes est la physique. Il y a une réelle distinction à faire ici. Cette distinction est entre, d’un côté, savoir ce qu’est la physique est s'intéresser à la façon dont les autres gens font de la physique et, de l’autre côté, essayer de découvrir ce qu’est la physique. Il s’agit juste d’un exemple de ce qui se passe constamment avec un enfant en développement. Malheureusement, c’est une distinction qui a été manquée dans la littérature pédagogique, même par des gens qui parlent de processus et de résolution de problèmes. L’enfant n’est pas prêt d’apprendre simplement comment résoudre les problèmes. Il ou elle doit d’abord apprendre les cadres fondamentaux dans lesquels le genre de résolution de problèmes que les adultes font prend place. Quelle est la nature de la physique ? Quelle est la nature de la pensée biologique ? Quelle est la nature de l’analyse historique ? L’enfant en développement avec un intérêt pour la politique n’est pas d’abord préoccupé par le fait de distinguer la façon dont les différents politiciens abordent tel ou tel problème. C’est une préoccupation d’adultes. L’enfant essaye en premier lieu de comprendre comment les politiciens abordent les problèmes en général. Quel est la nature du cheminement de pensée politique ? Tant qu’on n’a pas l’intuition de ce qui sert à faire une décision politique, on ne peut pas réfléchir à si A et une meilleure solution que B. Cette différence subtile est la clef de tout. L’enfant essaye de comprendre la nature de la construction de modèles, la nature de la résolution de problèmes, la nature du processus de la vie. Il ou elle n’est pas simplement préoccupé par le fait de peser le pour et le contre de tel ou tel modèle ou de telle ou telle approche. C’est un problème de second ordre que se pose l’enfant. C’est la clef de ce qui ne va pas dans la façon dont les écoles actuelles séparent par âge ou par compétences. Il y a deux situations extrêmes dans lesquelles un enfant peut être. Chacune d’entre elles est une mauvaise situation pour l’apprentissage. Un des extrêmes se produit lorsque l'enfant est limité à être uniquement avec des adultes. Par exemple l’idéal de Mark Hopkins, un enfant avec un adulte en binôme. Ici vous faites face au fossé générationnel, mais décuplé. L’adulte est déjà un adulte, une personne qui explore qui explore une large variété de technique, de résolution de problèmes, de modèles du monde. Et si l’adulte est vraiment une personne mature, intelligente et bien développée, il ou elle sera très habile à cela, à toujours peser les alternatives, et à inventer des idées nouvelles et créatives. L’enfant, en comparaison, à une idée très pauvre de comment s’y prendre, comme je le disais. Ainsi, l’enfant se retrouve coincé avec un partenaire adulte, et l’adulte ne peut absolument pas comprendre pourquoi l'enfant a autant de mal. L'adulte est peut-être véritablement intéressé par l’enfant, en essayant constamment de lui expliquer ce qu’il fait. Plus l’adulte tente d’expliquer à l’enfant, moins l’enfant comprend, car le problème de l’enfant est qu’il manque d’une ligne de communication commune avec l’adulte. Ils ne parlent pas au même niveau. N’importe quel adulte qui a passé beaucoup de temps à parler à des enfants aura cette frustration. Il s’agit du principal problème pour enseigner un sujet. Par exemple, vous recevez un groupe d’étudiants en première année de physique, et vous mettez un professeur d’université avec eux. Le professeur d’université peut être aussi patient qu’il veut, et expliquer la même chose 58 fois, mais le problème n’est pas que les étudiants ne comprennent pas les mots, ou qu’ils ont du mal à les copier dans leurs cahiers. Le problème est que l’étudiant en première année ne comprend pas comment les physiciens abordent le monde. Peu importe combien de fois le professeur répète une théorie physique particulière, il manque les fondations nécessaires dans la représentation du monde de l’étudiant. Ainsi, il n’y a pas de communication et rien n'arrive dans l’esprit de l’étudiant. C’est un phénomène si courant qu’il en est pathétique. Il ne s’agit pas d’un fossé générationnel dû à l’âge, c’est une question de parler à deux niveaux différents. Vous pouvez être le meilleur pédagogue du monde, vous pouvez essayer toutes les astuces, vous ne passez jamais vraiment outre ce problème. Au bout d’un certain temps, ce qui arrive dans ce genre de situation, est que l’enfant finit par grandir : la personne crée d’une façon ou d’une autre dans son propre esprit une idée de ce que fait le physicien. Dans certains cas, cela peut être une idée fantastique. Vous obtenez des gens qui ont des notions tout à fait surprenantes de la façon dont fonctionnent l’histoire, la physique, la philosophie, ou n’importe quel autre sujet. Quand vous vous y intéressez un petit peu, vous trouvez généralement qu’ils ont des notions aussi étranges à cause du fossé que je viens de décrire entre eux et leurs mentors au cours de leur jeunesse. En fait, cela arrive très souvent avec des gens qui ont grandi dans des familles avec des parents hautement intellectuels. Les enfants se retrouvent avec les notions les plus étranges justement parce que les parents ont été des parents “merveilleux”, à leur expliquer les choses année après année, sans que les enfants n’accrochent vraiment. L’autre extrême, qui est tout autant destructeur pour un développement mental normal, est le fait de séparer les enfants, par exemple selon leur âge. Cela veut dire, en substance, mettre tous les enfants qui sont au même niveau de développement ensemble. De nos jours, cela est fait de façon drastique dans les écoles. Les éducateurs ne sont plus satisfaits de la façon dont les classes sont déterminées par l’âge. Si vous déterminez les classes simplement par l’âge, vous ne regroupez pas les enfants selon leur véritable niveau de développement, donc beaucoup de pédagogues modernes ont toute une série de tests qui leur permettent de mettre tout le monde au même stade de développement. Et ils considèrent que c’est un grand pas en avant. C’est encore plus cruel pour un enfant, parce que tout le monde se retrouve avec les mêmes problèmes mais que personne ne peut vraiment s’entraider, ils n’ont pas le bénéfice d’avoir des modèles de réussite autour d’eux. Ils doivent trouver comment développer les compétences, le cadre et la méthodologie pour faire face au monde tout seuls. Ils ont un double désavantage. Ce que font les gens à l’école classique est de combiner ces deux extrêmes cruels. Aucun de ces deux extrêmes n’arrivent très souvent habituellement, mais dans les écoles, nous faisons en sorte que la combinaison de ces deux extrêmes arrive régulièrement. En d'autres termes, la façon dont le système éducatif de notre société est conçu consiste à prendre un groupe d’enfants qui sont au même stade de développement et de les coller dans une salle avec un adulte. Cela combine les pires caractéristiques des deux situations. D’un côté, tout le monde y perd car tout ce qu’ils voient est l’adulte, et qu’ils n’apprennent rien de l’adulte pour ce qui est des processus de second ordre. De l’autre côté, lorsqu’ils se retournent et qu’ils essayent de trouver de l’aide auprès de leurs voisins, ils ne peuvent pas car leur voisins sont dans le même bateau qu’eux. Il s’agit donc de la situation la plus frustrante possible. Et cette formulation est pour moi la clef : “la situation la plus frustrante possible”. Les manifestations psychologiques qui surviennent à l’école et dans les groupes de jeu ou autres sont des manifestations de frustration telles que décrites presque mot pour mot dans les manuels de psychologie. Que se passe-t-il lorsque vous êtes terriblement frustré ? Premièrement vous devenez colérique. Quiconque se rend dans une école sent tout de suite une immense quantité de colère et d’hostilité diffuses. La nature diffuse de l’hostilité est cruciale. Ils ne sont pas en colère contre un tort social, leur colère n’est pas une colère rationnelle due à quelque chose de spécifique qui serait arrivée et qui les aurait contrariés. Ils sont plutôt submergés par une colère diffuse, dirigée vers l’extérieur de manière dispersée. Cette colère est accompagnée d’anxiété diffuse. Pas une anxiété, par exemple, parce que votre mère vient de vous quitter et que vous ne savez pas quand est-ce qu’elle va revenir, qui est une anxiété spécifique avec des bases rationnelles. Dans l’anxiété diffuse, vous êtes anxieux mais vous ne savez pas pourquoi. La frustration est précisément le genre de chose qui produit de l’anxiété diffuse. Et si vous êtes frustrés car vous n’arrivez pas à résoudre des problèmes, vous êtes frustrés au niveau le plus fondamental de vos processus mentaux. Vous ne pouvez pas prendre en main l’activité que votre esprit veut faire plus que tout, à savoir construire des modèles et résoudre des problèmes. Vous n’arrivez pas à le faire, et vous ne recevez aucune aide de vos collègues qui sont dans le même bateau que vous, ni de vos professeurs qui ne peuvent pas vous atteindre. Ainsi vous êtes juste entièrement frustré et ne faites pas de progrès satisfaisant. L’hostilité diffuse. L’anxiété diffuse. Et la troisième manifestation est ce que j’appellerai l’autisme naissant. Par ce terme à un début de repliement sur soi-même, à la création d’une barrière d’aliénation par rapport au reste du monde. C’est un comportement qui se manifeste dans les premières années par des activités routinières et répétitives, qui suivent le même motif encore et encore. La différence entre les premières années et les années qui suivent est que les premières années, les réponses motrices n’ont pas encore été supprimées. Donc cet autisme naissant s’exprime à travers un comportement moteur répétitif. Plus tard, lorsque la société arrive à contrôler ce genre de comportements, ils sont supprimés. “Ne crie pas”, “Ne cours pas partout”, “Ne fait pas de bruit”, Ainsi au moment où nous arrivons à un âge plus avancé, cette même catégorie de comportements devient une attitude terne et éteinte. Ces trois caractéristiques sont selon moi très répandues dans les groupes qui subissent une ségrégation par âge ou par niveau de développement. Les trois naissent de la frustration de ne pas être capable de prendre les choses en main. Vous ne voyez tout simplement pas ce genre de comportement chez les enfants qui sentent qu’ils peuvent interagir avec leur environnement. Vous voyez précisément l'inverse : de l'activité débordante, une ardeur à se mettre au travail, à s’atteler à la prochaine tâche. Ce qui m’amène au but de tout ceci. Après avoir parlé des deux mauvais extrêmes et de leur combinaison telle qu’on la trouve dans les écoles actuelles, je pense qu’il est évident de comprendre pourquoi je pense que le libre mélange des âges est un facteur aussi critique à Sudbury Valley. C’est la clef de tout le reste. Le mélange libre d’âges fournit un flux d’interactions libres entre les gens à différentes étapes du processus de maturation. Cela vous permet, alors que vous vous destinez à être un adulte, de toujours trouver quelqu’un dans les deux directions : vous pouvez trouver quelqu'un qui est juste quelques étapes devant vous dans son apprentissage de comment interagir avec l’environnement (seulement quelques étapes devant, et donc pas avancé au point que la personne ne rencontre plus les mêmes problèmes que vous). Quelqu’un qui parle la même langue, qui fait encore beaucoup les mêmes erreurs, mais dans le même temps quelqu’un qui a atteint quelques buts que vous souhaitez atteindre, et comme vous pouvez parler de 80% de ces choses plutôt facilement (car vous êtes dans le même bateau pour 80% de ces choses), les 20% restant deviennent bien plus facile à comprendre. D’un autre côté, il est aussi important d’être en mesure de se retourner et de trouver quelqu’un qui est un tout petit peu derrière vous, car vous prenez en main vos accomplissements et votre maturation en la raffinant par le fait d’expliquer, de réexpliquer, et de les rendre clairs pour quelqu’un qui vous le demande. Il s’agit de la véritable signification du dicton selon lequel apprendre et enseigner sont les deux faces d’une même médaille. Ils le sont en effet. Il est tout aussi important d’avoir résolu un problème que d’être capable de verbaliser cette solution et de la présenter à quelqu’un qui vous teste, qui vous met dans une position difficile. Et c’est ce qu’il se passe lorsque vous êtes en mesure de regarder d’un côté et de trouver quelqu’un qui a un ou deux ans de plus que vous, puis de l’autre côté, et de trouver quelqu’un qui a un ou deux ans de moins. En fait, à Sudbury Valley, une étude minutieuse des contacts entre différents âges donnerait probablement la courbe statistique classique en forme de cloche qui représenterait la distribution des contacts entre les personnes à différents stade de développement. Il est probable que, la plupart du temps, les enfants communiquent avec ceux qui sont dans une étroite fourchette d’âge autour du leur, et de moins en moins de temps - mais quand même un certain temps - avec des gens de plus en plus éloignés d’eux de chaque côté. Les contacts distants existent sans aucun doute et ils servent à accélérer le processus normal de développement. De temps en temps, une personne peut franchir une grande étape très facilement. Les petits pas prennent le plus de temps. Mais le mélange des âges permet également de faire beaucoup de grands pas très surprenants et imprévisibles. Nous observons que cela se produit tout le temps. Soudainement, un enfant d’un certain âge s’entendra fantastiquement bien avec quelqu’un à quelqu'un qui a cinq ou six ans de plus ou de moins que lui. Avant, nous étions fascinés par cela, par exemple quand les adolescents trouvaient d’un seul coup une réelle satisfaction dans leurs interactions avec de très jeunes enfants. Cela n’a rien à voir avec un instinct maternel ou paternel. Il s’agit plutôt du fait qu’il trouve une énorme valeur dans le fait de franchir de grands pas au-dessus d’un grand gouffre. Et tout aussi fréquemment, un jeune enfant fera une percée dans un domaine et trouvera un langage commun avec quelqu’un qui se trouve bien plus avancé que lui dans ce domaine. Beaucoup de gens ont remarqué l’absence de bandes à Sudbury Valley. Il y a des amitiés, il y a des petits groupes, mais de véritables bandes sont très rares dans cette école. Comme les bandes sont une des caractéristiques les plus fréquentes dans les situations scolaires ordinaires, leur absence relative est d’autant plus remarquable. Qu’est-ce qui permet de l’expliquer ? La réponse est simple : même lorsque vous avez un groupe d’amis avec lequel vous passez le plus clair de votre temps, il y a toujours quelqu’un en dehors de ce groupe avec qui vous voulez passer du temps. Il y a toujours quelqu’un qui a un intérêt qui s’aligne avec les vôtres dans un autre domaine. Ainsi, vous trouvez des enfants qui s'éloignent très régulièrement de leur cercle d’amis restreint afin de développer un domaine qu’ils ne partagent pas avec des amis proches. De ce fait, il n’y a pas de bande fixe. Une autre chose que je trouve remarquable à la Sudbury Valley School, et en rapport avec le libre mélange des âges, est l’absence remarquable d’orgueil et de vantardise. Bien sûr je ne veux pas dire qu’il n’y en ait pas du tout. Après tout, notre société est presque endoctrinée à la vantardise. Mais quand vous observez l’école, vous ne pouvez pas vous empêcher de noter que la majeure partie des interactions n’ont pas de vantardise ni même de jalousie dans leurs caractéristiques premières. Pourquoi ? La réponse est directement liée au mélange des âges. Le fait de se vanter, et la jalousie sont presque nécessaires à des gens piégés dans un groupe d’âge restreint. Il s’agit d’une manière d’établir l’ordre hiérarchique du groupe. Vous êtes tous dans le même bateau, donc la seule chose qui vous reste à faire est de vous battre pour établir une domination physique ou psychologique. À la Sudbury Valley, il n’y a plus vraiment de sens à cela. Car voyons, auprès de qui allez-vous vous vanter ? À quoi bon ? Je ne parle pas ici en termes moraux. Je parle de ce qui arrive en pratique dans les interactions apprenantes. Ici, tout le monde sait et est prompt à reconnaître que tout le monde est ignorant. Par exemple, à quoi cela rimerait-il pour un enfant de se vanter qu’il ou elle sait bien lire ? La personne sait qu’elle ne peut pas lire aussi bien que la personne qui a trois ou quatre ans de plus avec qui elle interagit constamment. Le mélange des âges enlève la nécessité de se vanter. En effet le mélange des âges est fondé sur une motivation humaine et saine d’apprendre de toutes les sources disponibles. Une personne saine voudra toujours apprendre de ceux qui l’entourent et qui peuvent enseigner quelque chose qui permettra à la personne de se développer. Et la satisfaction est obtenue par l’accomplissement, pas l’enorgueillement. J’aimerais finir par revenir là où j’ai commencé. Tout ce que j’ai dit à propos des enfants en âge d’aller à l’école devient extrêmement éclatant quand vous le voyez dans des enfants de trois ans. Les enfants de trois ans sont à un stade encore très rudimentaire de développement de leurs compétences de base en communication. Car si vous ne pouvez même pas communiquer aisément avec l’autre, vous redoublez de frustration. Car non seulement vous êtes dans le même bateau, mais vous ne pouvez même pas parler aux autres dans le même bateau. Donc vous obtenez un groupe d’enfants qui ne peuvent même pas exprimer aux autres qu’ils veulent faire les choses qu’ils seraient capables de faire ensemble. Ils ne peuvent même pas exprimer qu’ils veulent faire des choses. Ils savent ce qu’ils veulent faire, ils se le représentent, mais ils ne peuvent pas faire passer le message. Donc quand il n’y a que des enfants de trois ans ensembles et pas d’autres enfants autour pour les aider, il n’y a aucun pont pour la communication entre eux. Nous nous tenions là, quelques enfants de trois ans et quelques adultes. Les adultes ne pouvaient pas franchir ce fossé de communication car comme je l’ai expliqué, il n’y avait aucun moyen pour moi de parler efficacement avec un enfant de trois ans que je n’avais jamais rencontré auparavant. Ils ne me faisaient pas confiance, ils ne me connaissaient pas. Je ne les comprenais pas, ils ne me comprenaient pas. C’était insupportable. En revanche, s'il y avait eu quelques enfants de quatre ou cinq ans avec nous, la situation aurait été tout autre. Ces problèmes ne seraient pas survenus. Ils auraient pu communiquer avec les enfants de quatre ans. Les enfants de quatre ans auraient servi de pont. Les enfants plus âgés, sont, comme chacun sait, des ponts parfaits de communication avec les petits enfants et entre les petits enfants et les adultes. Le libre mélange des âges à la Sudbury Valley School doit être expliqué d’une façon ou d’une autre aux gens qui viennent et qui observent ce que nous faisons. J'ai bien peur que cela soit une tâche très difficile, car le système éducatif en général est très polarisé dans la direction inverse. Mais c’est important pour nous de le faire, car pour des raisons purement éducatives, nous retirons des bénéfices éducatifs très importants de ce mélange des âges. Il accélère grandement la maturation et le développement des enfants qui sont dans l'école, en particulier ceux qui ont commencé jeunes. D’une certaine façon, cela est remarqué par les gens qui nous rendent visite. Ils remarquent le résultat sans comprendre une des causes majeures. Ils remarquent qu’il est génial que nos enfants de dix, onze, douze et treize ans soient si développés, si matures. Les adultes sont capables de communiquer avec eux, et de parler avec eux, ce qui veut dire qu’ils sont bien plus avancés dans le processus de devenir comparables aux adultes, dans leur capacité à construire des modèles et à résoudre des problèmes que des enfants de dix onze ou douze ans dans la société en général. Je vois cela comme un résultat direct de l’effet que le libre mélange des âges a sur les enfants de cette école. |