Extrait du livre : Ce que signifie “être staff dans une école Sudbury" Chapitre 3Réflexions sur le fait d’être staff à la Sudbury Valley School[Newsletter de la Sudbury Valley School, Vol. 20, no. 1; Septembre 1990]
Presque tous les aspects de la SVS remettent en question les normes et principes communément admis en éducation. Rien n’est plus déroutant que le rôle de staff dans l’école. Les personnes extérieures et intérieures à l’école, les parents et les étudiants, et même les membres du staff ont souvent du mal à comprendre à quoi sert le staff à l’école. J’aimerais présenter ma compréhension de cette question complexe, avec laquelle je me suis débattu pendant plus de deux décennies. En prérequis de cet essai, je vais supposer que le lecteur a une bonne compréhension du fonctionnement et de la philosophie de base de l’école, à la fois comme entité indépendante et comme faisant partie de la matrice socio-économique du pays. Je me retiendrai donc de redire les principes fondamentaux à la base de la SVS, et me concentrer exclusivement sur la question du staff. De plus, je souhaite noter que, comme dans toute institution vivante, le rôle de tout composant tel que le staff est, et doit être, en constante évolution. Les articles écrits à propos du rôle de staff à la fin des années 60 et au début des années 70 - que l’on peut d’ailleurs trouver dans les archives de la newsletter de la SVS et qui contiennent beaucoup d’informations pertinentes - ne peuvent plus servir de base adéquate de discussion dans les années 90. Nous ne devrions pas non plus nous attendre à ce que la vision présentée ici reste valide pendant bien longtemps. L’unicité, et donc la vulnérabilité de l’expérience de la SVS est sans aucun doute le paramètre central qui définit la fonction de staff. Alors qu’elle entame sa vingt-troisième année d’existence, la SVS se trouve toujours à la pointe de la réforme en éducation. Bien que depuis quelques temps nous n'ayons plus à faire face à l’hostilité extérieure manifeste qui nous a touché pendant nos dix premières années d’existence, nous sommes toujours assaillis de toutes parts par des préjugés à l’encontre des principes éducatifs que nous adoptons. Toutes les familles de la communauté de l’école et tous ses étudiants actuels subissent une pression constante d’amis et autres relations pour justifier leur présence à la SVS. Les visiteurs qui viennent à l’école, avec les meilleures intentions du monde, nous interpellent inévitablement avec des questions et des doutes. Dans de telles conditions, il est essentiel pour la survie de l’école d’avoir un noyau dur de personnes dans l’école ayant une complète et profonde compréhension des choses essentielles et des subtilités de notre philosophie éducative et de nos traditions particulières dans la mise en place de cette philosophie. Ce noyau dur doit avoir une continuité dans le temps, mais doit être ouvert à de nouvelles personnes et de nouvelles perspectives. Il doit être multi-âge et couvrir une large diversité de compétences et de personnalités. Il doit travailler fluidement avec les différents membres de la communauté de l’école. Le besoin profond de l’école d’un tel noyau dur, dans les main duquel repose l’explication et l’évolution de l’approche éducative de la SVS, doit être satisfait par le staff. Dans l’ordre de priorité, pour la simple survie de l’école, ce besoin est au-dessus de tous les autres lorsqu’il s’agit d’identifier des personnes qui peuvent être membres du staff. La centralité de ce besoin ne peut pas masquer le fait que l’identification d’individus pouvant y répondre est une tâche très ardue. Il est proprement impossible de dire, après une courte période d’essai, si une personne a la compréhension ou le courage de remplir le contrat. Nous pouvons au mieux supposer, et n’avons d’autre choix que d’expérimenter avec de nouvelles personnes, parfois pendant plusieurs années, avant que la réponse devienne claire. Mais la difficulté de trouver des staffs qui peuvent maintenir l’école à flot ne devrait pas faire obstacle au fait d’établir cela comme fonction première d’une personne au service de la communauté de l’école. Une autre fonction centrale du staff est de maintenir un fonctionnement fluide de l’école. Bien que le Conseil d’École administre l’école au quotidien, tant sur le papier qu’en pratique, cela signifie pour être exact que le Conseil d’École s’assure que toutes les tâches sont faites de façon adéquate, par des agents appropriés (employés, entreprises, commissions, et de temps à autres des personnes nommées pour l’occasion). Le Conseil sait - il s’agit de bon sens - que ces agents ne peuvent pas être exclusivement des étudiants, et que certaines instances importantes demandent la présence d’adultes. Les adultes ainsi choisis sont toujours des membres du staff, du fait de leur familiarité avec l’école, et en vertu de la continuité de fonctionnement que leur office garantit. Il est nécessaire que le staff dans son intégralité soit clairement engagé - et capable - à s’assurer que l’école fonctionne avec le moins de problèmes administratifs possibles. Je ne pourrais jamais insister assez sur ce dernier point. Occasionnellement, certaines personnes pensent à tort que la SVS est une école gérée par les étudiants, et que ceux-ci sont censés s’occuper des devoirs administratifs. Une telle vision est une grosse distorsion du concept de la SVS. Le Conseil d’École - les étudiants et le staff ensemble, soit l’ensemble des personnes dans l’école - gère l’école, et ce de la façon la plus sensée qu’il le peut, notamment en s’assurant que les différentes tâches sont menées à bien par les personnes disponibles les plus qualifiées pour les faire. Cela implique bien souvent d’utiliser des personnes embauchées partiellement ou entièrement pour faire ces tâches, et parmi ces embauchés figurent les membres du staff. Une troisième fonction centrale du staff est de passer du temps avec les étudiants lorsque ceux-ci le recherchent. Je parle de “passer du temps” dans sa signification la plus pure, aussi décrite par l’expression “traîner avec”. Les étudiants de tous âges souhaitent être aux côtés d’adultes pour converser pratiquement de tous les sujets imaginables. Ces conversations sont utiles dans la mesure où il y a une relation simple et détendue avec les participants. En l’absence de peur et d’anxiété, la substance et les implications de l'information échangée et absorbée au mieux par tous les partis, et les étudiants en particulier sont capables de faire de ces interactions des composants utiles de leur développement en cours. C’est dans ce type d’échange détendu que les sujets qui intéressent réellement les étudiants font surface et sont exprimés. L’absence d’une structure prédéfinie ou d’un emploi du temps est critique pour ce processus. Au fur et à mesure que les étudiants comprennent que le staff s’intéresse réellement à eux et leur répond sincèrement, ils deviennent d’autant plus capables de se saisir de cette ressource adulte. Dans une telle atmosphère, des questions personnelles font souvent surface, de la même façon qu’elles le font lors des interactions entre étudiants. Le staff peut alors fournir aux étudiants des réactions d’adulte à leurs questions les plus intimes - des réactions qui ne seront pas alourdies du poids de la parentalité, des liens familiaux, ou de conseils professionnels (thérapetuiques). Les membres du staff, qui sont approchés librement chaque jour, peuvent ainsi fournir aux étudiants des perspectives d’adultes auxquelles ils n’auraient autrement pas accès - des perspectives, de plus, qu’ils peuvent évaluer librement et accepter ou rejeter sans se préoccuper de répercussions interpersonnelles dans la relation avec l’adulte. Il ne fait aucun doute pour moi que les conversations informelles entre staff et étudiants qui arrivent de façon très fréquente, sont de loin le contact staff-étudiant le plus important qui arrive dans l’école, particulièrement du point de vue éducatif, si on reprend le sens premier d’”éducation”. La disponibilité d’un staff confortable avec ce type de relation avec les étudiants est donc d’une importance cruciale pour la réussite de l’école. La dernière fonction du staff qui me vient à l’esprit est celle de l’enseignement d’une compétence ou d’un sujet particulier. Cette fonction, qui est la seule à laquelle les autres systèmes scolaires accordent de l’importance, est en fait la dernière dans la liste des priorités du staff de l’école. Laissez-moi expliquer cette affirmation apparemment étrange. Tout d’abord, à la SVS, l’enseignement spécifique n’a lieu qu’à la demande de l’étudiant. Étant donnée la diversité des intérêts des étudiants, on peut s’attendre à une énorme variété de sujets sélectionnés par les étudiants, pendant des durées variées, à intervalles erratiques, et à divers degrés de compétence. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas avoir de staff capable de prodiguer un enseignement dans autant de domaines à la demande. Ce qui est plus important, en revanche, est la nature de l’enseignement que les étudiants, qui en font sincèrement la demande, recherchent. Invariablement, ils recherchent un professeur qui connaît véritablement la matière, qui est un maître dans son domaine. Le modèle de ce genre d’expérience d’apprentissage, est le modèle maître-apprenti, pas le modèle conférencier-public (Il a beaucoup été écrit à ce propos dans la littérature de la SVS.) La pédagogie, l’art de susciter l’intérêt des étudiants et de les motiver, est entièrement hors-sujet à la SVS. Ce dont les étudiants ont besoin est de l’expertise, et une opportunité de puiser dedans et de l’observer en action. C’est pourquoi le Conseil d’École, à travers la “Source Corporation” a développé des mécanismes pour dénicher des experts dans presque tous les domaines d’intérêts qui seraient d’accord pour travailler avec des étudiants intéressés. Souvent, il arrive que cette expertise soit détenue par le staff, mais il s’agit alors plus d’une coïncidence que d’une intention délibérée, puisqu’il est tout à fait impossible de prédire la demande de l’étudiant dans n’importe quel domaine un an à l’avance et d’être sûr que le staff sera disponible. Ainsi, bien que l’enseignement soit une activité fréquente et légitime du staff, il ne s’agit pas d’un critère déterminant pour l’embauche et l’évaluation du staff. Cela conduit directement à une qualification importante de tous les membres du staff : chacun d’entre eux doit être bon à quelque chose, peu importe quoi, à un haut niveau de compétence. Car même s’il est vrai que le staff n’est pas engagé dans le but de prodiguer un enseignement d’expert dans des domaines spécifique, il est aussi vrai que les membres du staff doivent être des exemples vivants de ce à quoi sert l’école : la capacité de poursuivre un intérêt sans relâche, jusqu’à ce qu’il soit bien maîtrisé. En d’autres termes, le staff doit servir de modèle de compétence, de confiance, de résolution de problème, d’entreprise, d’engagement, d’honnêteté intellectuelle, de détermination, de travail, acharné, et de capacité à se relever après un échec. Tous ces traits, essentiels à une performance excellente dans tout effort humain, devraient être partagés par tous les membres du staff, dans leur fonction clef d’adultes que les étudiants utilisent comme mesure d’une maturation réussie. La liste précédente de traits de caractère du staff, aussi impressionnante qu’elle paraisse à l’écrit, n’est pas beaucoup plus qu’un catalogue de caractéristiques de n’importe quel adulte qui réussit dans le monde moderne. Tous les parents aimeraient pouvoir dire qu’ils possèdent ces traits, et veulent certainement que leurs enfants les acquièrent en grandissant. La moindre des choses que peut faire l’école est de fournir un staff constitué d’exemples vivants de ces traits. Cela m’amène au nœud du problème : le staff comme modèle pour les étudiants. Jour après jour, année après année, les étudiants sont en contact rapproché et prolongé avec le staff à l’école. En dehors de la famille proche, le staff est le groupe d’adultes le plus proche des étudiants et ce pendant la plus longue durée. À ce titre, le staff sert inévitablement de modèle d’adultes aux étudiants auprès desquels ils mesurent leurs propres progrès vers la maturité. Bien sûr, les étudiants appliquent constamment leurs propres standards et mesures personnels aux membres du staff, et ne sont sûrement pas susceptibles d’imiter les comportements du staff sans esprit critique. Mais globalement, malgré les facultés critiques des étudiants, la plupart des parents préfèreraient que le staff soit, tant qu’à faire, constitué de modèles souhaitables. Ce que le mot souhaitable veut dire dépend entièrement de l’ensemble des valeurs partagées par la communauté. Personne n’attend un accord complet d’un groupe de gens sur ce qu’est un bon modèle, pas plus que quiconque n’attend de quelqu’un qu’il soit un modèle parfait. Ce à quoi la communauté de la SVS peut s’attendre est que chaque membre du staff ait un caractère qui soit raisonnablement proche des idéaux de la communauté de la SVS, et que le staff en tant que groupe soit capable de mener des relations qui donnent un exemple raisonnablement bon des relations interpersonnelles. Tous ces critères de jugement sont finalement concrétisés au moment de l’élection et du processus de recrutement que conduit l’école pour chaque membre du staff. Il apparaîtra peut-être dans ce que j’ai écrit que les attendus d’un membre du staff sont si stricts qu’il soit impossible de trouver des gens qui soient à la hauteur. Je ne crois pas que ce soit le cas. Les attendus sont complets, certes, mais ils ne sont pas plus exigeants que ce qu’on attend d’un adulte pour fonctionner de manière satisfaisante dans le monde moderne post-industriel. Pendant plus de deux décennies, l’école a réussi à trouver de nouveaux membres du staff quand elle en avait besoin et j’ai toutes les raisons de penser que le nombre de candidats disponibles pour le rôle de staff grandira au fur et à mesure que l’école devient de plus en plus établie et mieux connue. D’un autre côté, il apparaîtra peut-être à certains que les fonctions du staff sont si vagues qu’elles sont presque inutiles et qu’être membre du staff à la SVS n’est en fait pas du tout un vrai travail ! Certainement, il est impossible d’écrire une description standard du travail, ni déterminer des prérequis (de diplôme, ou d’expérience professionnelle) qui aient du sens pour le travail. Pas plus qu’on ne peut établir de critères de performance qui ont du sens pour les fonctions du staff décrites ci-dessus. La réalité de l’école, en revanche, dissipe toute préoccupation sur ces sujets. Au fil des ans, la grande majorité des membres du staff a travaillé dur pour remplir ces fonctions. La discussion ci-dessus à propos du staff à la SVS peut également avoir une incidence sur l’examen actuel des administrateurs de la politique de l’école, en termes d’échelle de salaires du staff à la SVS. Quelques remarques peuvent être faites. Premièrement, il devrait être clair que sur le fond, on ne peut pas vraiment faire de comparaison entre le staff à la SVS et les professeurs (ou membres de l’administration, agents d’entretien, ou autre personnel) au sein des écoles publiques et privées. Il peut y avoir d’autres raisons de faire une telle comparaison, mais ils ne peuvent en aucun cas être basés sur une similarité de la description de l’emploi ! Deuxièmement, il devrait également être évident que les critères de diplômes n’ont aucune pertinence pour la SVS, pour ce qui est de déterminer les salaires des membres du staff. Enfin, je crois que l’on peut raisonnablement conclure que des gens de qui on attend qu’ils soient des modèles d’adultes pour des enfants dans la communauté de l’école ne devraient pas recevoir un salaire qui s’écarte de façon flagrante des normes de récompense au sein de la communauté scolaire au global. Il ne serait pas approprié de payer des salaires qui soient absurdement bas - ou élevés (ce n’est pas vraiment un problème imminent). Pendant deux décennies, le staff, en tant que protecteur de la continuité de l’existence de l’école, a volontairement accepté des échelles de salaires qui étaient bien en dessous de quoi que ce soit de raisonnable, selon tout standard. Cet épisode est loin derrière nous à présent, comme chacun sait, il est donc tout à fait approprié que les administrateurs et l’assemblée concentrent maintenant leur attention sur le fait d’établir une politique de salaire à long terme qui convient à l’expérience de la SVS.
Daniel Greenberg .
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