Extrait du livre : Ce que signifie “être staff dans une école Sudbury" Chapitre 7 : Des ailes et des racines : parents, staffs, et enfantsHanna Greenberg
[réimprimé de Reflections on the Sudbury School Concept, Sudbury Valley School Press, 1999]
Il y a une question que je redoute, et qu’on ne manque jamais de me poser : “Si les enfants à la SVS sont responsables de leur vie à l’école et qu’ils font et apprennent ce qu’ils veulent, quand ils veulent et comme ils le veulent, qu’est-ce que vous faites de vos journées à l’école en tant que staff ?” Parfois ils demandent également : “Et quel est notre travail en tant que parents ? Juste de les nourrir et de les conduire, de payer leurs frais de scolarité et de leur donner de l’argent pour le goûter ? C’est tout ce que nous sommes censés faire ?” “Bien sûr que non !”, je réponds avec assurance, avant de bafouiller quelque chose sur ce que je pense que nous, parents et staffs, faisons vraiment pour les enfants en plus de prendre soin de leur besoins physiologiques. La réponse est si claire au fond de moi, et pourtant je n’arrive absolument pas à l’exprimer. Une citation que j’ai lue récemment m’a aidé à comprendre ce que j’ai toujours ressenti : Nous pouvons donner deux choses à nos enfants - l’une est un sens des racines et l’autre est un sens des ailes. Maintenant je connais mes racines, mon histoire. Maintenant, je suis prêt à m’envoler en direction du soleil. Je pense qu’à la SVS nous avons beaucoup parlé du fait de donner aux enfants un sens des ailes, mais jamais ou presque du sens des racines et de l’histoire. Cela s’explique par le fait que dans notre culture, l’idée de donner aux enfants un sens des ailes n’est pas une notion acceptée, elle va à l’encontre des théories pédagogiques que suivent l’école et l’éducation traditionnelles. Les parents et les enseignants sont censés faire en sorte que les enfants apprennent ce dont ils auront soi-disant besoin une fois adultes. Les enfants sont vus comme des récipients vides, que leurs aînés ont le devoir de remplir avec la connaissance appropriée. On suppose souvent que le côté maléfique de la nature humaine est prévalent chez les jeunes et qu’à moins de le réprimer tôt, il prendra le dessus sur le bien. On voit aisément comment ces présupposés ont amené les gens à vouloir entraîner leurs nouveau-nés dès la naissance. On les a mis à la crèche et on les a nourri toutes les quatre heures en les laissant pleurer jusqu’à ce qu’ils s’endorment entre temps. Les petits bébés étaient vus comme de petits démons manipulateurs qui devaient être entraînés très tôt à ne pas être gâtés, complaisants et dépendants. Les adultes devaient rester vigilants tout au long de l’enfance car selon ce paradigme, on ne pouvait pas faire confiance aux enfants pour faire ce qui est bien et bon pour la santé sans la direction d’un adulte; livrés à eux-mêmes, les enfants feraient de mauvaises choses et n’apprendraient rien. Peut-être que de nos jours les parents sont plus indulgents dans le fait d’entraîner leurs nourrissons et enfants mais les présupposés de base sur le rôle des adultes dans le modelage des caractères de leurs enfants sont restés les mêmes. Nombreux sont ceux qui croient que donner le libre-choix aux enfants pour l’acquisition de leurs compétences est négligent et dangereux. À la Sudbury Valley, nous supposons que les enfants sont curieux par nature et désireux de comprendre le monde qui les entoure. Ils sont biologiquement programmés pour vouloir apprendre les compétences qui leur permettront de survivre par eux-mêmes. De plus, nous croyons que fourrer leurs esprits avec des enseignements est contre-productif. Cela distrait les enfants de leurs recherches et de leurs apprentissages. Cela leur apprend aussi à se reposer sur le jugement d’autrui plutôt que sur le leur. Un apprentissage qui n’est pas auto-initié et motivé est en général mal retenu et mal intégré. Comme notre approche éducative à la SVS n’est pas largement acceptée, nous parlons, parlons et parlons encore de laisser nos enfants diriger leurs vies et de les laisser s’envoler librement - leur donnant ainsi un “sens des ailes”. Il y a cependant, d’autres aspects de ce que nous faisons à la SVS et desquels nous ne parlons pas assez, car ce sont des choses très personnelles de bien des façons, et difficiles à décrire. Il s’agit de la somme de nombreuses interactions et actions, qui s’additionnent pour former une journée de travail complète. Peut-être que la meilleure façon de l’exprimer est de dire que le staff à l’école, et les parents à la maison, se rendent disponibles pour les enfants lorsqu’ils nous le demandent. En montrant aux enfants que les adultes de leur vie les prennent au sérieux, les écoutent, et sont prêts à faire des choses pour eux ou avec eux lorsqu’ils le demandent, nous prenons soins de leur éducation. Nous apprécions leur compagnie, et c’est probablement là la chose la plus importante qui leur arrive à la SVS. Ils comprennent qu’ils sont des personnes uniques, intéressantes, et importantes. Personne ne parle de cela, mais c’est quelque chose qui imprègne l’atmosphère de la SVS. Au fur et à mesure que les enfants grandissent, ils en prennent conscience et cela les fait se sentir confiants et optimistes. Ils en arrivent à croire en eux-mêmes et s’autorisent à avoir de grands rêves qu’ils osent se mettre à réaliser. Les adultes de leur vie sont une partie importante du monde dans lequel ils doivent entrer. Les enfants savent cela instinctivement et même lorsqu’ils sont encore des nourrissons, ils nous étudient et, en nous observant faire les tâches de la vie, apprennent ce qu’ils ont besoin d’apprendre pour eux-mêmes. Ils nous imitent, nous critiquent, se moquent de nous et prennent souvent soin de nous. Les enfants apprennent tant de choses en interagissant avec les adultes et en comprenant comment et pourquoi ils font ce qu’ils font. Je le vois constamment et cela ne manque jamais de me ravir. En voici un exemple charmant : Nous étions partis skier au mont Wachusett un jour et alors que nous descendions du télésiège, un garçon de onze ans dit : “Regardez la vue magnifique ! Ça ferait une superbe photo, dommage que ma maman ne soit pas là pour voir ça !” Je lui ai demandé si elle skiait. Il répondit “Non, mais elle apprend la photographie et je suis sûr qu’elle adorerait les arbres et le ciel ici.” Je ne pense pas que sa mère lui apprenait à la maison à apprécier la beauté du paysage lorsqu’il skiait. Je pense qu’il s’est juste souvenu qu’elle aimait beaucoup la nature en voyant ce magnifique paysage. Elle lui a appris à être sensible à ce dont elle avait besoin et lui a ainsi transmis son regard pour apprécier lui-même ce qui est beau. Les enfants observent tout de nous : notre culture, notre philosophie, nos pensées et pratiques religieuses, notre façon de faire et d’apprendre de choses, nos interactions, la façon dont nous gérons nos peurs, nos angoisses et nos conflits, la façon dont nous aimons et dont nous exprimons notre colère, notre personnalité, la façon dont nous nous habillons et dont nous argumentons. En grandissant, ils apprennent ce que nous sommes et ce qu’est notre société, puis ils font leurs propres choix sur comment ils veulent vivre leur vie. Peu importe leur degré d’indépendance, ils tiennent leur histoire de nous. Nous leur donnons un “sens des racines”. Les étudiants de la Sudbury Valley se sentent connectés au monde car leur parents les éduquent et prennent soin d’eux, ainsi que le staff à l’école. Ensemble, nous essayons de leur donner foi en eux-mêmes, s’efforçant de les rendre “prêts à s’envoler en direction du soleil”.
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